Champs électromagnétiques : crise scientifique et crise de santé publique Imprimer
(06/01/12) Conférence scientifique internationale Champs électromagnétiques et Santé publique
Bruxelles, 16-17 novembre 2011. Extrait de l'intervention de M. William DAB, Chercheur et enseignant. Ancien Directeur Général de la Santé en France. Ancien membre du comité exécutif de l'OMS.


La première chose que je voudrais dire est que je pense que nous nous trouvons incontestablement devant une crise scientifique et une crise de la santé publique...

Mon premier objectif est que vous ne vous endormiez pas ! Aussi, je commencerai en disant que je pense que nous nous trouvons incontestablement devant une crise scientifique et probablement une crise de santé publique.

Maintenant que j'ai capté votre attention, je poursuivrais en rappelant tout d'abord que j'ai été impliqué dans la recherche sur les champs électromagnétiques alors que je travaillais pour la compagnie Électricité de France dans un des services de recherche de l'entreprise, il y a maintenant plus de dix ans. Je n'ai plus aucun contact aujourd'hui avec EDF, je suis enseignant et chercheur sur les risques professionnels et environnementaux au Cnam (une des universités de Paris). Ma discipline de référence est l'épidémiologie et l'évaluation quantitative de risques.

Pourquoi dis-je que nous nous trouvons devant une crise scientifique ?

Je ne suis plus impliqué dans les aspects scientifique du sujet dont nous parlons aujourd'hui, mais j'ai l'impression que toutes ces présentations que nous voyons sont les mêmes depuis dix ou douze ans.

Nombre de chercheurs ont accompli un travail colossal avec des publications remarquables, des études épidémiologiques exceptionnelles, des études en laboratoire très complètes. Mais si vous vous placez du point de vue de la santé publique, tout était déjà écrit il y a dix ans.

Donc, il y a une sorte de crise et nous devons y réfléchir car nous nous trouvons à un moment où des décisions importantes peuvent être prises.

Deux principales sources d'incertitude

Ma compréhension scientifique aujourd'hui est qu'il y a deux principales sources d'incertitudes.

  • D'une part, nous ne sommes pas capables d'évaluer la variabilité individuelle de l'exposition. Par conséquent, nous n'avons de vision claire sur la relation dose-effet. Gérer un risque sans disposer d'une relation dose-effet est très délicat. C'est là toute la différence entre les rayonnements ionisants et non-ionisants d'un point de vue de la gestion du risque.
  • D'autre part, si toxicité il y a, nous n'en connaissons pas l'origine. Est-elle liée à l'intensité de l'exposition, à sa durée, aux pics, à sa variation dans le temps ou dans l'espace ? Bref, sur quels paramètres faut-il agir ? C'était déjà la même question il y a quinze ans, et aujourd'hui, il n'y a toujours pas de réponse.

Ceci a deux implications

D'abord, nous avons certainement besoin de recherches, mais ce que j'ai entendu hier et aujourd'hui montre le besoin de réfléchir à une nouvelle organisation.

Face à des questions scientifiques complexes, nous avons besoin de grandes Institutions multidisciplinaires, allant de la Biologie moléculaire à la psychologie. Et je suis convaincu que les enjeux de santé publique méritent un tel investissement au niveau européen. Il faut créer une interaction au sein de ce que nous pourrions appeler un paradigme biologique systémique associant la biophysique, la biochimie, la bioinformatique, la biostatistique, les biomathématiques, la biomodélisation et intégrant les fantastiques progrès de la recherche en génétique, en génomique, en protéomique, en métabolomique, sans perdre de vue l'analyse du risque pour la population.

A cette fin, nous avons besoin d'Instituts de Recherche rassemblant tous ces experts dans au moins un Institut Européen d'envergure. Je ne vois pas l'intérêt de financer une nouvelle étude épidémiologique, une nouvelle étude de génotoxicité, etc. sans intégrer cela dans une véritable politique scientifique qui soit définie au niveau européen.

La seconde implication, celle qui renvoie à une crise de Santé Publique, est que comme l'a dit un collègue, nous devons gérer l'incertitude alors même que l'exposition est largement répandue. Ici, ce qui me frappe, c'est que les différentes parties prenantes ne donnent pas la même définition du risque.

Pour simplifier, nous avons d'un côté ceux qui disent "nous devons être sûrs des mécanismes avant de parler de risque", et d'un autre côté vous avez ceux qui disent "il y a des signaux biologiques, il y a des signaux épidémiologiques, c'est ça le risque".

Le dialogue entre ces personnes est difficile puisqu'elles ne donnent pas la même définition au même mot.

Personnellement, je ne suis pas convaincu que l'on puisse aboutir à un consensus scientifique, et pour être honnête, je ne pense pas que la recherche du consensus relève d'une approche scientifique.

Mais, je reste persuadé que le consensus est une nécessité du point de vue démocratique pour gérer une situation porteuse de risques. Pour cela, nous avons besoin d'un consensus.

Le rôle des décideurs politiques

Un collègue a dit ; "C'est le rôle des décideurs politiques". Très bien, c'est vrai, mais cela ne veut pas dire que les décideurs politiques soient capables de résoudre une question aussi complexe.J'ai été membre de plusieurs cabinets ministériels, j'ai été Directeur Général de la Santé en France pendant deux ans, membre du comité exécutif de l'OMS.

Je peux vous dire que les décideurs politiques ne sont pas du tout à l'aise avec ce genre de questions. Nous devons les aider. C'est trop facile de dire : "C'est aux décideurs politiques de résoudre cette question sociale complexe".

Comment les aider ?

  • Premièrement, je suis intimement persuadé que toute nouvelle technologie doit faire l'objet obligatoirement d'une étude préalable d'impact sanitaire à chaque étape du processus de développement. Cela devrait être obligatoire, comme c'est le cas avant de lancer un médicament sur le marché.
  • Deuxièmement, l'exposition de la population devrait être contrôlée de façon systématique. Et c'est à l'industrie de financer cela, pas aux contribuables. Bien entendu, ce financement industriel doit être soigneusement organisé en toute transparence. Ceci peut s'organiser de façon appropriée, il en existe des modèles.
  • Troisièmement, si l'on veut aider les décideurs politiques à faire face à l'incertitude, nous devons dans chaque pays de l'Union Européenne et au niveau européen aboutir à un consensus quant aux actions. Il ne s'agit pas de dire la « vérité ». Laissons les scientifiques travailler sur cette vérité. Il ne faut pas demander un consensus aux scientifiques, parce que finalement, l'absence de consensus est une condition pour faire avancer la science.

Toutefois, nous avons besoin d'un consensus pour entreprendre des actions de protection de la population. Il existe des expériences d'organisation de forums où l'on peut réunir le monde de la science, le monde des citoyens, les élus, les médias, les administrations. Non pas nécessairement pour trouver une solution, mais pour définir les problèmes à résoudre. En matière de santé publique, la première des responsabilités est de définir le problème.

Il est clair que sur notre sujet, il n'y a pas d'accord sur la nature du problème. Cet accord relève d'une construction collective qui est faisable.

Des processus de débat pluralistes et loyaux

Il faut pour cela organiser des processus de débat pluralistes et loyaux.

Cela existe, par exemple, j'ai contribué à un forum consacré aux enjeux de sécurité sanitaire des nanotechnologies en France. Il en est ressorti un texte de problématique signé aussi bien du Directeur Général de l'Industrie que de WWF. Ce texte explicite les enjeux de santé publique du développement des nanotechnologies. Cette première étape est fondamentale et elle est pertinente pour la problématique des champs électromagnétiques, situation dans laquelle nous sommes confrontés à la fois à des questions scientifiquement très complexes avec un enjeu supplémentaire d'exposition chronique et massive de la population.

Nous devons faire preuve d'innovation dans la préparation de la prise de décision.

C'est une évidence pour moi que la science n'apportera pas de réponse claire avant des années.

Donc, il ne faut pas renoncer à la Science. Il faut permettre aux scientifiques de faire leur travail de recherche avec des outils et des financements appropriés pour mieux comprendre les phénomènes biologiques en cause.

Mais quand on est dans l'incertitude il faut dans le même temps réfléchir à la façon dont les décisions sont préparées et ce n'est pas aussi simple que de dire "le danger est démontré, il faut faire ça et ça".

Non, on a besoin d'abord d'un grand débat démocratique, dans chaque pays de l'Union Européenne et au niveau européen.

Merci de votre attention.

 

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(*) William Dab est enseignant et chercheur sur les risques professionnels et environnementaux au Conservatoire des Arts et Métiers, France.
Ancien Directeur Général de la Santé en France. Ancien membre du comité exécutif de l'OMS.

Traduction : Priartem France
Edition et intertitres : Teslabel

 

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