Dangereux le GSM ? Une expérience à ciel ouvert Imprimer
(LE SOIR - 02/06/11) Après le rapport de l’OMS sur les effets « peut-être cancérogènes pour l’homme » du GSM, Jean-Luc Guilmot, président de l’association Teslabel, prévient : « Il faut se désintoxiquer du GSM ».

Quelques jours après la déclaration de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur les effets « peut-être cancérogènes pour l’homme » de l’usage des téléphones portables, Jean-Luc Guilmot, lanceur d’alerte en matière de pollution électromagnétique, comme il le dit lui-même, et président de l’ASBL Teslabel, insiste : « L’enfant chéri est plus dangereux que l’on ne l’avait prédit ».

NOTE : Ce article est la synthèse d'une interview téléphonique réalisée et reformulée par la journaliste stagiaire du Soir, Jenniffer Persoon que nous remercions. Une relecture avant publication avait été proposée. Cela n'ayant pu être fait, voici l'article original accompagné de quelques amendements et notes explicatives.

Quelle est votre impression à la suite de la publication du rapport de l’OMS ?

« C’est un pas attendu dans la bonne direction. On a besoin de ce point de repère pour prendre position, même si on sait que l’OMS est souvent critiquée aussi pour ses positions qui sont de nature politique. Donc, nous avons des réserves, car cette information en tant que telle est connue depuis longtemps déjà. En effet, [la majeur partie des] les  données de terrain ont été collectées il y a sept ans. [NOTE : Il s'agit essentiellement de la vaste étude Interphone - 20 millions d'euro - sur le téléphone portable et les tumeurs de cerveau, de 1999-2004 et dont il aura fallu attendre 2010 pour obtenir la publication finale des résultats. - cf. également et par ailleurs les commentaires critiques du Pr. Magda Havas sur les problèmes méthodologiques de cette vaste étude ici (en anglais) et toutes les difficultés d'interprétation auquel cela a pu mener] On sentait qu’il y avait des pressions énormes de la part de ceux que cela gène. Déclarer que l’enfant chéri est plus dangereux que l’on ne l’avait prédit est gênant. »

Est-ce que l’utilisation d’un GSM comporte réellement des risques ?

« Evidemment. Nous avons publié un article de nos confrères anglais qui prouve que le GSM et le DECT (téléphone domestique sans fil) ont une incidence sur les taux de cancer. Les radiations électromagnétiques causées par le téléphone DECT sont similaires à celles des téléphones portables dont le rayonnement atteint des niveaux de plus en plus critiques. » [NOTE  : Les rayonnements en tant que tel (SAR ou DAS) des téléphones portables récents sont en diminution, bien que l'incidence d'une telle évolution reste sujette à caution, étant donné qu'elle ne concerne que les effets thermiques des rayonnements. Pour le reste, c'est la multiplication des sources d'émission, ce que l'on peut aussi qualifier de "téléphonisme passif", de même que les durées cumulées d'exposition qui ne cessent d'augmenter.]

Il s’agit bien d’une preuve scientifique ?

« Une erreur que tout le monde commet toujours et qui est un tour de passe-passe du lobbying dans ce genre de problématique qui touche à la santé, c’est la quête de la preuve absolue. Jamais au grand jamais en matière de santé humaine, vis-à-vis de polluants de ce type, que ce soit le tabac, l’amiante, ou dans ce cas les ondes électromagnétiques, vous n’aurez de preuve absolue. Mais nous avons suffisamment d’éléments aujourd’hui pour juger des incidences sur la santé. » [NOTE : Ce que la plupart des gens ne réalisent pas c'est que très souvent la cause exacte du cancer ne peut être identifiée avec certitude. Oui, certaines exceptions existent telles que le cancer lié au tabac ou à l'amiante, mais même là, un élément d'incertitude demeure. Il y a des individus qui fument toute leur vie et ne développent pas de cancer du poumon, et d'autres qui n'ont jamais fumé et qui en sont victimes. Nos connaissances dans ce domaines ne sont pas aussi abouties que ce que l'on pourrait croire. Par conséquent, quand les représentants de l'industrie demandent la preuve absolue que le rayonnement non ionisant est cancérigène, ils savent qu'il est hautement probable que leur demande n'aboutisse jamais.]

Est-ce que les études scientifiques sont menées correctement ?

« Il y a trop peu d’études, et elles sont mal réalisées. [Cette question a été posée dans un contexte différent. Elle émanait d'une réflexion portant sur le trop petit nombre d'études relatives à l'influence des antennes GSM sur la santé. Il faut savoir que 80% des études épidémiologiques sur les antennes de téléphonie mobile et la santé font état d'incidences sur la santé, parfois très graves. Ces études trop peu nombreuses, sont critiquées par certains sur le plan méthodologue, malgré qu'elles aient été publiées dans des revues à comité de lecture. Fort bien. Le problème c'est que ce sont les seules qui existent et que RIEN n'est fait pour remédier à cette situation. Résultat : politique de la chaise vide ou de l'autruche, et fuite en avant.] Mais personne ne fait rien pour changer les choses. L’exemple le plus brillant est celui de la thèse de doctorat du chercheur belge, Dirk Adang, et qui date de 2008. C’est une étude épidémiologique fracassante. Elle démontre la surmortalité des rats soumis aux ondes GSM/Wifi à faibles doses sur le long terme. »

[Plus précisément : Une étude épidémiologique à long terme sur des rats soumis pendant 21 mois, 2 heures par jour, 7 jours sur 7 à des CEM de 27 V/m continus (CW) ou pulsés (PW) de 970 Mhz ou 9,7 Ghz (CW). La valeur de 27 V/m est inférieure à la recommendation de l'ICNIRP(OMS) de 42 V/m à 900 Mhz et du même ordre de grandeur que la limite en vigueur en Belgique de 21 V/m.

Résultats :

1. DOUBLEMENT de la mortalité (!)

2. Augmentation des taux de monocytes dès 3 mois (= les plus gros globules blancs du système immunitaire)et des autres globules blancs dès 11 mois. Hypothèse : réponse immunitaire à une agression extérieure

3. Détérioration significative des capacités de mémorisation à long terme, après 15 mois d'exposition. (Source)]

« Les résultats sont inquiétants lorsque l’on sait que le mammifère partage 90 % de son patrimoine génétique avec l’homme. Personne en politique n’a réagi. La première chose à faire aurait été de confirmer cette étude, car on n’est effectivement jamais à l’abri d’erreur. Il aurait fallu rapidement, devant la sévérité des résultats, engager une réplication de ce travail scientifique dans une autre université et avec une autre équipe. C’est le propre de la Science. Et ce n’était pas très compliqué… Mais il y a des choses qu’on ne veut pas voir, ou, en tout cas, qu’on aimerait retarder le plus possible, car tout cela est très gênant. »

Que devrait-on faire alors ?

« Il faut faire de fortes campagnes de sensibilisation vis-à-vis de la jeunesse [d'abord et avant tout] pour les mettre en garde au niveau de l’utilisation d’un téléphone portable avant seize ans. Cela vaut pour le GSM, mais aussi pour l’utilisation du DECT (téléphone domestique sans fil), qui fait partie du même type de technologie, alors que c’est tout à fait ignoré. »

« Interdire ne servirait à rien. Il s’agit de décourager par la communication. Et donc, encourager des alternatives. On n’est jamais très loin d’une ligne fixe, ce n’est pas très compliqué de l’utiliser. Mais on a tellement inculqué le sens de la facilité que l’on a rendu les gens dépendants. C’est comme une drogue. Il faut faire une campagne de désintoxication. Et c’est très difficile car la prise de conscience doit d’abord se faire au niveau des politiques. Mais ils sont eux-mêmes rivés à leur GSM ou leur smartphone. Cela est proche de l’impossible. »

« Un petit pas en avant »

Est-ce que le monde scientifique est unanime ?

« Bien sûr que non. Par ailleurs, vous allez toujours entendre des scientifiques qui vont minimiser les choses. Il suffit d’avoir vu le JT de 13h sur la RTBF hier qui recevait M. Vanderstraeten, médecin au Conseil Supérieur de la Santé. Ce dernier a complètement minimisé le rapport de l’OMS, en argumentant qu’il s’agit de vieilles données et que la technologie a évolué. »

NOTE : J. Transcription des propos de J. Vanderstraeten : "Les données qui sont actuellement disponibles et qui concernent l'usage du téléphone pour un recul de temps suffisant, ç.-à-d. 10 ans et plus, concernent essentiellement un téléphone en voie de disparition qui est l'ancien téléphone analogique. (...) On n'a pas en fait de données suffisantes pour le GSM. Mais ce GSM expose en fait l'utilisateur à de l'ordre de 30-40 à 50 fois moins que le téléphone analogique ancien."

COMMENTAIRE 1. Difficile de trouver propos plus équivoques et plus anesthésiants pour le téléspectateur, ministres et autres responsables politiques inclus. Lâcher ce chiffre de 30 à 50 fois moins d'exposition entre un téléphone analogique et un téléphone numérique donne à penser que le risque est réduit dans cette proportion. C'est d'ailleurs ce que comprend la journaliste. En tant que médecin et membre du Conseil Supérieur de la Santé, il aurait du dire que l'étude Interphone portait à la fois sur des téléphones analogique ET numériques. Que des études ont montré  une augmentation du facteur de risque de neurinome acoustique (tumeur bénigne) de 4,2 pour les téléphones analogiques et de 2 pour les téléphones numérique. [Hardell, 2005, Pubmed]  Et dans les cas des gliomes (tumeur maligne), ce facteur de risque est de 2,6 pour les téléphones analogiques et de 2,1 pour les téléphones numériques, soit une différence d'à peine 20%. [Hardell, 2006, Pubmed]  On est très, très loin des 20 à 50 fois plus d'exposition, non ?  Nous considérons qu'il s'agit là d'une faute déontologique grave dans le chef de M. Vanderstraten, remettant de plus en cause la crédibilité même du Conseil Supérieur de la Santé.

COMMENTAIRE 2. Santé et technologies évoluent à des rythmes très différents. M. Vanderstraeten ne le sait que trop bien. Il utilise néanmoins cette vielle ficelle de lobbyiste visant à faussement rassurer les auditeurs. Dans 10 ou 15 ans, quand les données sur l'utilisation actuelle du GSM seront connues, en particulier chez les jeunes (que l''étude Interphone n'a d'ailleurs pas couvert), les technologies auront encore évolué. Soyez sûrs que ce même genre de propos sera de nouveau utilisé par les défenseurs du statu quo.  Etant donné l'autorité morale et médicale qu'il représente de par les fonctions rémunérées par l'Etat qu'il occupe, les propos de la part de cet expert sont indignes, et vu le nombre de victimes à craindre chez les jeunes en particulier, c'est probablement même pire que ça.

COMMENTAIRE 3. Autre ficelle de lobbyste usée jusqu'à la corde -- mais qui fait toujours recette -- celles des données scientifiques contradictoires qui ne permettent pas de conclure ou celle du manque de données "convaincantes". Sous-entendu : il n'y a pas de nécessité d'agir.

 

« C’est scandaleux pour tout le travail qui a été et qui est réalisé. En fait, il y a quelque chose de criminel et de profondément irresponsable de la part de cet homme. Pour qui roule-t-il donc ? Ce n’est malheureusement pas lui qui paiera les pots cassés. Et ce qui est dangereux, c’est que l’on induit en erreur les auditeurs, sur une chaîne publique qui plus est. »

Est-ce qu’il a des études qui prouvent le contraire, c’est-à-dire qu’aucun lien n’existe entre le risque de cancer et l’utilisation d’un GSM ?

« La Santé, c’est compliqué. Nous sommes en train de dire ici que le GSM est un « facteur de risque ». Donc si vous choisissez de l’utiliser [de façon inconsidérée], vous allez augmenter votre risque de contracter un cancer. Cela ne veut pas dire que vous en serez nécessairement victime. La déclaration de l’OMS prend des pincettes et elle émet beaucoup de réserves. C’est pour cela que nous n'en sommes que très moyennement satisfait.

« Cela reste un petit pas en avant, avec toute la prudence scientifique voulue. En attendant, il y a quand même cinq milliards de GSM qui circulent dans la nature. Nous vivons une expérience à ciel ouvert. Je ne suis pas en train de peindre le diable sur la muraille, je demande simplement que l’on regarde la réalité en face. Tout particulièrement pour les jeunes. L’addiction à cette technologie est telle que les gens n’entendront que le conditionnel de la déclaration de l’OMS. Demain ce sera oublié. Pour sevrer un drogué, la raison ne suffit pas. »

Propos recueillis par Jennifer Persoon (st.)